La réaction idéologique dans la péninsule Ibérique face à l'expansion occidentale aux époques almoravide et almohade (XIe-XIIIe siècles)
Résumé
La comparaison des interventions chrétiennes, respectivement dans la péninsule Ibérique et en Orient, a conduit certains historiens à s’interroger sur les raisons de la faiblesse andalouse. L’Orient aurait été le cadre d’un « réarmement moral et religieux » efficace, les aspirations des milieux piétistes relayées par l’ambition de dirigeants turcs en quête de légitimité favorisant l’action militaire contre les Latins. Du côté chrétien, d’autres éléments, comme l’éloignement des bases arrières, l’infériorité numérique ou les divisions internes, seraient des raisons complémentaires de la disparition progressive des États latins d’Orient. Sur le front occidental de l’Islam, les historiens ont cherché à comprendre la rapidité (relative, il conviendrait d’y insister) de l’expansion chrétienne. La thèse du « désarmement », moral et militaire, de la société andalouse, a été soutenue et le débat historiographique s’est porté sur le développement, ou le non-développement, de l’esprit de djihad dans la péninsule Ibérique au cours des xie-xiiie siècles. Pierre Guichard a soutenu l’idée de la « non-émergence d’une sensibilité au djihad dans la culture andalouse du xiie siècle », cependant que Vincent Lagardère défendait, contre cette thèse, l’idée du rôle fondamental du djihad à l’époque almoravide, en s’attachant principalement aux manifestations militaires du djihad à l’époque almoravide. Ces deux thèses ne sont contradictoires qu’en apparence, comme cette communication espère le montrer. S’il est assez facile de retracer les choix idéologiques des princes almoravides et almohades, dans leur unité et dans leur diversité, face aux avancées chrétiennes, en revanche, il faut insister sur la difficulté d’une histoire des mentalités dans la société andalouse, qui, de l’avis de tous les spécialistes, se caractérise par une effervescence religieuse d’une ampleur sans précédent.
Il s’agit dans cette communication de montrer comment la conquête du royaume de Tolède en 1085 par Alphonse VI de Castille-León provoque une réaction très marquée en Andalus, au niveau des pouvoirs en place, mais aussi des pratiques religieuses et culturelles. Ce qui frappe l’observateur, dans un contexte d’affrontement généralisé et d’incursions annuelles (ghazw), c’est moins la multiplication, par ailleurs difficile à mesurer, des vocations combattantes individuelles ou la « sclérose » qui, selon une tradition bien ancrée depuis l’époque almohade, caractériserait les Almoravides, qu’au contraire l’approfondissement des savoirs religieux, le développement conjugué de la philosophie, du soufisme et des tendances ascétiques ou mystiques, la vigueur de la production poétique et littéraire dans une société où le régime appuie sa légitimité sur les docteurs de la Loi. La pluralité des discours, telle que les sources nous la manifestent, ne saurait masquer l’état de guerre permanent entre l’empire almoravide et les royaumes chrétiens du nord de la Péninsule. Cette guerre est du côté musulman une « guerre légale », un djihad, cautionné par les fuqahâ’ (« les docteurs de la Loi ») et mis en pratique par les souverains berbères ou leurs délégués. À l’époque almohade, le thème du djihad semble se diffuser, pourtant, paradoxalement, il répond à des logiques de légitimation interne au pouvoir almohade, plus qu’à la situation concrète en Andalus.
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